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Freud – New Perspectives
13 ans après Paris, l’exposition de Lucian Freud s’invite à la National Gallery de Londres (1er octobre 2022 – 22 janvier 2023) puis surtout dans le cas présent au Museo Nacional Thyssen‑Bornemisza à Madrid (14 février – 18 juin 2023). Elle offre un panorama exigeant et en même temps séduisant du travail de Freud, à l’occasion du centenaire de sa naissance.
Un délicieux pari
La volonté de l’exposition « New Perspectives » est de renouveler l’intérêt du grand public pour le travail du petit-fils du fondateur de la psychanalyste. L’objectif est de regarder Freud à nouveau, sous un angle renouvelé, en questionnant ce qu’il avait à dire aux générations d’aujourd’hui.
Un itinéraire sinueux
L’exposition suit une chronologie thématique : les débuts figuratifs d’après-guerre, les portraits intimes, les nues monumentales, et enfin la peinture de l’artiste face à la vieillesse et à la mémoire de son art. Parmi les œuvres marquantes : « Reflection with Two Children » (Auto-portrait) (1965), Leigh under the Skylight (1992) et plus tard « The Brigadier » (2003) autant de jalons d’un parcours où Freud met en tension la représentation et l’inquiétude. La chair y est peinte sans concession : les veines, la peau qui marque, le relâchement, tout y est. Le corps exposé comme sur une table d’autopsie. Une peinture de l’intimité, mais surtout de l’inconfort.
Exposition d’actualité
L’exposition résonne particulièrement aujourd’hui, dans une époque où les conventions, la bienséance affichée et l’individualisme triomphant façonnent notre rapport à l’image. Avec l’avènement des réseaux sociaux et la culture du stream, le culte de soi (l’empire de l’auto-exposition) est devenu une « valeur » dominante : chacun se met en scène, contrôle son récit, expose sa vie privée devenue matière publique sous le regard de leurs ouailles décérébrés. Face à cette surreprésentation permanente des ces corps et ces visages engourdis, souvent filtrés et lissés, l’œuvre de Freud apparaît presque comme un contre-champ brutal et nécessaire. Là où notre époque cultive la performance (et médiocrité de soi), Freud révèle l’être profond, les plis, les fatigues, la vérité nue du corps. C’est précisément ce décalage qui rend l’exposition si actuelle : elle confronte notre ère narcissique à une peinture qui refuse la pose, le masque et la flatterie. Mais encore ? Sa relation peintre/modèle, son scepticisme, voire sa distance, est remise en lumière : Freud ne flatte pas, il scrute et témoigne. Dans son portrait de la Reine d’Angleterre (2001), Freud semble la regarder de haut, renversant la relation habituelle (suzerain/sujet) et surtout protocolaire.
La brutalité de certaines œuvres peut déconcerter le visiteur : qu’est-ce qu’on retient, outre l’effet de choc ?
Pour Néophytes et accoutumés l’intérêt se trouve dans l’exécution acerbe, la narration visuelle crue, le support (peinture épaisse, matières brutes) et l’effet produit : le corps devient terrain d’expérience visuelle, presque nécropsie. Comment rendre visible le passage du temps, la nécrose des tissus, le délabrement du corps ? Freud y répond avec audace et sans concession.
En conclusion
Lucian Freud : New Perspectives est une exposition essentielle pour quiconque s’intéresse à la représentation visuelle vraie, à la puissance de l’intime et à la chair presque palpable. Elle exige du spectateur, elle ne délivre pas du confort. Mais c’est précisément ce qui la rend stimulante et incroyablement remarquable.


